Le
langage écrit et l’abstrait pictural
Le langage facilite la communication entre les êtres humains,
avec toutes les difficultés de l’analyse transactionnelle.
Le langage abstrait pictural, avec toutes les difficultés
du visuel, est fait pour penser l’action et les sentiments
qu’il exprime avec précision. Etant non figuratif,
il se prête à la collaboration du spectateur dans l’action
du regard et à la communication avec celui qui a créé
l’oeuvre.
Il n’est pas conçu pour être forcément
lu et compris tel que l’a voulu l’artiste, mais pour
être également le reflet de la sensibilité de
l’âme du spectateur, qui va y décrypter un tout
autre message que celui du créateur. Seule, la rencontre
physique entre le créateur et le spectateur va faire se rejoindre
les ressentis de chacun et la compréhension totale de la
sensibilité de l’artiste pour le spectateur, et inversement.
L'écriture
dans la peinture
La réalisation graphique d'une oeuvre, la
trace laissée,
les signes picturaux sur un support ne me suffisent plus. L'apport
de l'écriture, en tant que réalisation graphique ne
pouvait que convenir à ma recherche, avec la
capacité à utiliser un code langagier simple et l'intégrer
tout naturellement. La réalisation graphique prend alors
toute son ampleur.
Le
style particulier de l'artiste
abstrait doit se reconnaître parmis les autres.
Apprendre la lecture et l'écriture de l'artiste devient important
pour la compréhension de l'oeuvre.
La
technique
L'utilité de la technique ne se discute
même pas: c’est grâce à elle que l’Art
évolue : Utiliser la technique associée au sentiment,
avec ce supplément d'âme qui seul permet de distinguer
une œuvre d’Art. La technique ne doit pas confiner
l’art dans une mécanisation enseignée, elle
doit faire exploser d’autres techniques, nouvelles, qui
font avancer la création artistique.
Tout artiste n'est pas qu'un technicien, la sensibilité
est l’âme de ce qu’il veut nous dire. Mais il
se doit d'être un bon technicien: d'une part il utilise
des techniques enseignées aux Beaux Arts. Le grand artiste
invente sa propre technique comme il inventerait une parole et
une langue originale. Il est vain de dire que rien n'arrête
la technique, sauf si l’on considère que l’on
doit s’arrêter aux enseignements académiques.
C'est le désir d’avancer par l'intelligence et par
la volonté de progresser, d’apporter du nouveau en
respectant la technique, qui fait que l’artiste va se respecter
lui-même mais aussi les autres en présentant un travail.
L’œuvre
qui engendre une émotion quelle qu’elle soit, positive
ou négative
devrait donc être considérée comme belle car
touchante, telle est son but.
Seule l’œuvre laissant indifférent, sans âme,
ne touchant pas nos émotions reste alors un simple essai.
Une énorme difficulté apparaît
Comment désigner l'œuvre d'art si la reproduction
du « beau » tel que définie par les règles
esthétiques en vigueur, n'est plus sa caractéristique
essentielle? Comment désigner l’œuvre d’art
si la technique n’est pas mise en cause ? Comment définir
l'esthétique si elle ne réfléchit plus sur
le « beau » et sa production? La désignation
actuelle de l'art comme la création d'un monde nouveau
met sur le même plan le beau et le laid, la technique et
la non technique.
Les nouvelles formes d’art associant le tout un commun et
le n’importe quoi a une œuvre d’art se veut être
la solution du problème : donner à l’art une
utilité et une uniformité qui va le faire disparaître
; l’art devient le pouvoir de chacun, sans que la distinction
se fasse entre la technique, le savoir-faire, et le reste. Les
poussées d'artistes sont ainsi grandissantes, chacun se
dénommant artiste.
Le
beau et le laid
La définition du «beau» selon les dictionnaires
en vigueur comme étant quelque chose dont la vue procure
une sensation agréable, esthétiquement, dont l'aspect
est conforme aux règles esthétiques en vigueur, qui
est parfait en son genre, qui témoigne d'une perfection satisfaisante
dans son exécution, qui montre de la distinction dans la
manière, le langage ou la tenue, qui témoigne d'une
grande élévation morale, ce qui est agréable
aux sens en raison de sa conformité à un idéal
esthétique, indique aussi « qui provoque une émotion
esthétique ».
Le «laid», défini comme dénué de
toute beauté, voire moralement choquant, qui manque totalement
de «beauté», et provoquant pourtant lui aussi
une émotion esthétique forte, ne peut être rejeté
de l'art.
L'art ne peut avancer qu'avec le respect et sans l'intransigeance
des règles établies,
mais avec la prise de conscience du travail de l'artiste, de sa
réelle recherche et de sa réelle technique.
En considérant la globalité du travail de l'artiste,
belle ou laide, une oeuvre fait vibrer et fait avancer l'art.
Qui
peut être capable d'enseigner une règle de production
de la beauté, s’il elle existe reste réellement
? Seules les techniques peuvent êtres enseignées.
L’œuvre d’art est celle qui a quelque chose à
nous dire, où le code assure une transmission de l’information,
ressentie belle ou laide. Si le dire est vérité, vie,
mort, changement, mouvement, l’œuvre fixe et figée
à tout jamais voudra vous parler à chaque regard différemment,
à chaque jour vous apprendre autre chose…une interaction
entre elle et vous qui rendra inlassable de la découvrir,
de l’apprécier de plus en plus, parce qu’elle
touchera votre âme, soit en bien soit en mal.
Dans le plaisir esthétique, il y a un sentiment de communicabilité
universelle entre tous les êtres raisonnables sensiblement
affectés. Quand j'affirme "c'est beau", ou «
c’est laid » j'éprouve la satisfaction propre
à un être libre et je respecte la liberté des
autres hommes pour leur accorder leur propre critères du
"c'est beau" ou du c’est laid ». Un sens commun
de la beauté et de la laideur, perçu par tous différemment
selon notre propre sensibilité. Le respect de la liberté
du créateur et du spectateur.
L'art
et l'artiste
L'art
abstrait fonctionne comme un langage : il signifie une vision du
monde, une perception à un moment donné par l’auteur
que le spectateur va recevoir avec son regard mais aussi ses propres
sentiments. Il n'a pas de langue ni de code. C'est une perception
créatrice d'un monde existant ou nouveau, la possibilité
pour son auteur de communiquer ce que le figuratif et le langage
échouent à communiquer. Une certaine manière
de voir, nouvelle, accompagnée d'une capacité de réalisation
technique reconnue des seuls professionnels.
L'art
produit une nouvelle vision du monde lorsque l’artiste exerce
son pouvoir de recherche associé à la technique. Il
donne alors une idée de ce que peut être un commencement,
une émotion, une idée, une perception. C'est ce qu'il
recherche.
Le plaisir esthétique et créateur pour l’artiste
est un sentiment de liberté qui permet d’exercer librement
les capacités de son esprit et de sa sensibilité dans
une recherche picturale et technique où l'interprétation
et l'image vont être pour lui parfaite : un artiste
se doit de savoir reconnaître ce qu’il a fait comme
bon ou mauvais. Tout artiste ne peut garder la totalité
de sa production comme « bonne », avant d’arriver
à une œuvre qu’il va considérer comme «
presque parfaite», il en aura créé un certain
nombre de « mauvaises », les « essais ».
Quel artiste peut avoir la prétention d'avoir créé
la perfection? De créer à chaque fois une oeuvre?
De garder toute sa production comme bonne? Pour créer et
avancer, l'artiste se doit là d'être intransigeant
avec lui-même.
L’abstrait
L’exercice le plus difficile en art, surtout lorsqu’il
s’agit de donner une expression réelle à une
abstraction…Il est vrai que le temps n’est plus où
l’artiste doit copier la Nature servilement. Mais pas n’importe
comment. Souvent, quand on demande à un artiste ce qu’il
a voulu représenter sur sa toile abstraite il répond
: «
c’est
du moderne, c’est de l’abstrait. C’est au public
de dire ce qu’il voit ».
Je
refuse cette interprétation futile de sa propre œuvre
: devient-on si aisément artiste au nom de l’abstrait
? Alors nous sommes tous artistes.
L’esthétique kantienne a montré que le sublime
dans l’art est soumis aux conditions d’un accord avec
la nature. Le génie, affirme Kant, est “celui par
qui la nature dicte ses règles à l’art”.
La nature implique ici toute grandeur, tout caractère essentiel
d’une chose, réelle ou abstraite, le caractère
profond de l’ensemble des lois qui gouvernent les êtres
vivants, la planète, l’univers.
Toute œuvre esthétique se présente au départ
comme une totalité et n'est intelligible que comme telle.
Dans un tableau chaque couleur, chaque forme, ne prend sa valeur
qu'en fonction de toutes les autres, qu'elles soient contiguës,
superposées, liées, même en un point opposé
de la toile. La relation plus subtile lui est donnée en
plus par la composition : tout élément est nécessaire
à l'apparition de celle-ci et ainsi lui appartient en un
sens rigoureux. Une composition est une composition esthétique,
les relations dont elle est faite, les éléments
entre lesquels ces relations s'instituent, sont eux-mêmes
de nature esthétique, ils se situent à l'intérieur
de cette dimension d'irréalité principale qui est
celle de l'œuvre. Lorsque le peintre pose une couleur sur
la toile, ce n'est pas elle qu'il examine, il voit la composition,
il voit en elle son effet esthétique, et comment l'intégrer
à l'ensemble de l'œuvre. Valable pour toute composition
figurative ou abstraite, l’abstrait ne se départageant
pas dans ce principe du figuratif.
La transcendance qui pousse un artiste à créer des
œuvres abstraites est la sensibilité sur l'ouverture
de ce monde, sur l’âme de l'Être. C'est bien
parce que cette transcendance habite chacun de nos sens que l'atteindre
en devient une nécessité. Dans cette transcendance
domine l'affectivité et la sensibilité, lesquelles
deviennent contingentes, et déterminent au contraire du
figuratif l’artiste à aller plus loin.
Rien n’est jamais réductible à un simple regard,
mais précisément à un ressentir, une sensibilité
des choses, qui nous ouvre à elles, qui s'éprouve
et qui s'affecte lui-même avant d'être affecté
par la compréhension de l’explication de l’artiste.
Voilà pourquoi la peinture abstraite est par essence un
monde sensible, parce que la relation à l'objet se transforme
en relation à la sensibilité de chacun, s'auto affecte
dans la transcendance de chacun, en sorte qu’une telle relation
est par nécessité une relation affective. Le monde
abstrait est sensible parce que la relation au monde est affective
selon la possibilité la plus intérieure de son déploiement.
C'est un monde qui est
beau ou qui est laid, nécessairement.
S'il n'est ni l'un ni l'autre, si il ne fait pas vibrer une corde,
bonne ou mauvaise, c’est que l’œuvre reste indifférente
et ne dégage rien. La détermination esthétique,
l’état de sensibilité d’une œuvre
abstraite sont voués dans le principe à déplaire
ou à plaire, pas à laisser indifférent.
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